Formation Bafa: Internat ou externat?

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J’ai passé toutes mes formations BAFA et BAFD (base, appro…) en « Internat ». C’est à dire que nous passions 24h/24 ensemble: stagiaires, formateurs. Je me souviens qu’au petit déjeuner, nous partagions ce temps de vie ensemble. Il n’y avait pas de self où chacun porte son plateau et sa petite portion individuelle de cacao, confiture, beurre ou autre. Nous nous faisions passer le pichet de jus d’orange, le thermos de café, le saladier de céréales et que sais-je d’autre. A la fin de petit déj, nous débarrassions ensemble non seulement nos ustensiles, mais aussi l’ensemble des ingrédients, et tout-un-chacun participait à la tâche: qui de passer l’éponge, qui de rapporter le gastro de bols sales à la plonge etc…

Après un retour rapide à la chambrée collective, qui ressemblait beaucoup à une chambre de colo de grand ados, le brossage des dents à trois autour d’un lavabo, ou dans les sanitaires « collectifs », ou une bonne demi-douzaine de stagiaires se brossaient en coeur et en rang d’oignon les dents… parfois même devant un miroir trop bas, car nous occupions un centre de vacances aménagé à hauteur d’enfant. On se pressait pour le rassemblement dans la salle collective où des chaises en rond nous attendaient… On aurait dit une colo, sans enfants où les jeunes adultes jouaient à la fois à la colo, aux monos et aux enfants.

Comme nous vivions tous ensemble sur place, les ateliers de formation débutaient tout de go après le petit déjeuner plus ou moins échelonné. Comme en colo, la pause café-clope en plus. Nous n’arrivions pas échelonnés, chacun par notre bus, métro ou trajet en vélo.

La matinée de formation ressemblait surement à la votre: des jeux, des chants, dedans, dehors, avec un ballon, des foulards, dans l’herbe, sous les arbres… On apprenait tout autant les jeux et les animations que la gestion d’un groupe, d’une activité, de son rythme et son déroulé, que le vivre ensemble… Ce que j’aimais, c’était d’apprendre en faisant: Des jeux? On jouait. Des chants? On chantait. On jouait autant le rôle des enfants, que des animateurs. Je ne me souvient finalement pas de moments assis à écouter, passif… Je ne me rappelle que de certains temps de recherche en petits groupes, dans la doc qui inondait des tables entières…  où l’infini des possibilités de jeux, de veillées, de cahiers d’animation, de réflexion, de législation, m’ouvrait des horizons inconnus et passionnants.

Si l’après midi passait tout aussi vite que la matinée, le déjeuner et le dîner étaient tout autant des moments joyeux que de formation active. Nous mangions tous ensemble, non pas avec un plateau, mais au plat. De qui veut de l’entrée passe son assiette, de qui se lève pour remplir à nouveau le pichet à la fontaine. « Fait donc passer l’assiette de celui en bout de table ! » « Quelqu’un sait comment faire marcher la trancheuse à pain? »
Avant le dessert, passaient les assiettes, de voisins en voisins, jusqu’à un bout de table, les couverts transitaient de la sorte. Parfois un charriot de desserte, mais souvent, l’un portait la pile d’assiette à la plonge, un autre se saisissait des couverts.

A la fin du repas, tout le monde s’agitait pour faire table rase, quand les derniers passaient un coup d’éponge pour faire disparaitre les dernières traces de notre passage. Je n’ai pas le souvenir de repas avalés sur le pouce, ni d’être pressé par le temps. Les repas permettaient les échanges et les discussions, sur des sujets connexes à la formation, mais aussi nos expériences passées, nos colos en tant que môme, nos projets pour la suite, mais aussi à raconter nos vies, et surtout à sourire, rire et prendre du plaisir. Bref à apprendre à vivre ensemble.

Le soir, le temps de veillée ressemblait souvent à une veillée de colo, puisque nous apprenions encore par le jeu. Quand ce n’était pas nous qui avions préparé des animations, en petits groupes, pour animer le reste des « stagiaires ». On apprenait à animer, en jouant, mais aussi en organisant, prévoyant et animant à tour de rôle les autres: Déguisements, Sensibilisation, Imaginaire, Décoration de la salle, Draps, Lumière, Musique, Courbe d’animation, Retour au calme… On ne faisait pas qu’en parler, on le faisait en vrai, on les vivait.
Le soir venu, très souvent le temps de formation « formel » terminé, nous passions pour la plupart encore du temps à discuter, échanger, lire, noter, voire jouer… juste pour le plaisir.

Évidemment nous partagions à plusieurs des chambres sur place. Ceux qui avaient vécu les colos en tant qu’enfant ou ados, ceux qui avaient déjà expérimenté la vie collective prenaient soin de prendre leur douche en début de soirée, ou le lendemain matin quand les autres étaient réveillés. D’autres au contraire, rentraient se coucher très tard, bien que les autres de la chambrée dormaient déjà, ils allumaient la lumière, cherchaient quelques affaires dans leur sac, faisaient chouiner la porte des WC, tiraient la chasse d’eau, voire même prenaient une douche. Ce qui ne manquait pas de perturber le sommeil des premiers.
Mais nous étions là pour vivre, expérimenter, apprendre tout autant les ficelles de l’animation que celles du « Vivre Ensemble » ou de la « Vie en Collectivité ». Par ailleurs, un temps formel était dédié à ce sujet. En cercle comme toujours, c’était le moment de pointer du doigt les « dysfonctionnements », « les petits soucis »… mais surtout les astuces ou les techniques, voire tout simplement les comportements facilitant la vie ensemble: quand prendre sa douche, comment aller se coucher sans gêner les autres, la répartition des tâches à la fin du repas, etc…
Après quelques jours nous avions tous prit le plie de la vie collective, les dysfonctionnements et les « mauvais comportements » laissaient la place à la vie collective…

Mais aussi à la fatigue. Cette bonne fatigue que l’on éprouve en colo, à force d’être au top du matin au soir, en plus du coucher tard, voire trop tard, parce qu’on a préféré discuter encore des heures plutôt que d’aller se coucher. Nous apprenions aussi à cette occasion que nous n’étions pas des machines, que certains matins piquaient plus que d’autres, qu’au fil des jours à ce rythme « poussé », notre énergie, notre humour, notre joie, notre concentration et surtout notre seuil de tolérance évoluaient à la baisse. En quelques jours, la vie collective qui nous semblait si idyllique, commençait pour certains à les irriter, à les agacer, voire dans certains cas, à conduire à des conflits. Par chance nous expérimentions cela entre (jeunes) adultes, sans la présence d’enfant. La clairvoyance des plus reposés, comme l’expérience des formateurs (enchantés de la naissance de ces « cas »), nous ont permit de pointer du doigt l’impact sur nos sensibilités et nos capacités de la fatigue. Que notre irritabilité naissait non pas des autres, mais de notre propre fatigue. Les conflits permettaient aussi d’apprendre à les analyser et d’apprendre à les régler.

A ce rythme, avec cette démarche, avec cette densité et cette intensité, une formation d’une semaine nous paraissait être d’une richesse incroyable. Nous en avions apprit sur l’animation, sur les autres, et sur nous bien plus qu’en une semaine normale. Nous en sortions transformés. Marqués par cette semaine passée ensemble.

Si je vous raconte cela, ce n’est pas pour vous rapporter des nouvelles du front. Beaucoup ont vécu ou vivent à quelques variations près ce que je raconte de mes souvenirs de formation.

Si je vous raconte cela, c’est que depuis 2-3 ans, j’ai prit le temps de moins diriger de colos (je ne faisais que ça, à toutes les vacances, non stop, depuis 5 ans, en plus de la coordination et l’animation de classes de découverte). Depuis 3 ans, je passais mes vacances d’été, en colo, mais avec un peu de recul: comme intervenant. Je vivais sur la colo, j’étais avec les enfants, mais je n’avais plus la responsabilité de la direction, ni des animateurs. Ce qui m’a permis de regarder les colos d’un peu plus haut, que la tête dans le guidon.

J’ai été surpris de voir de jeunes animateurs (pléonasme), mangeant à une table sans enfant, quitter la table sans débarrasser celle-ci, ni les plats, ni leurs couverts, ni passer un coup d’éponge. J’ai observé des animateurs assis à une tablée d’enfants, ne pas « animer » le repas: conseiller, aider à s’organiser… « Qui sert les légumes? », « Passez l’assiette de vos voisins par ici », « Qui veut aller re-remplir le pichet à la fontaine? », « Et si on faisait une pile d’assiettes ». J’ai découvert des animateurs totalement « passifs » durant les temps de repas, se jetant presque autant que les enfants sur le plateau de 8 steaks, à qui aura le premier, sachant qu’il y avait autant de steak dans le plat que de convives à la table. J’ai observé des jeunes adultes, qui n’intervenait pas non plus au moment du repas, si un verre se renversait, se brisait, si des enfants se disputaient, pour un bout de steak ou pour le plat… J’ai même entendu un jour un animateur répondre à la demande de son collègue lui disant « tu pourrais m’aider pour le plat des « sans viandes »? »…  un laconique « bin, mais je mange là… »

J’étais un peu décontenancé. Au premier abord, j’ai eut la réaction bête « haa ces Jeunes »… « A mon époque… blablabla »… et puis je me suis dit que je commençais vraiment à avoir des phrases de vieux con.

J’étais également inquiété par le fait de voir des jeunes animateurs complétement exténués après quelques jours de colos: cernes et yeux marqués, sans énergie, ne survivant que par intraveineuses de café, irritables, voire en conflit avec leurs collègues, les enfants etc… certains craquant nerveusement, en larmes dans un coin de la colo, d’autres, en col roulé, sinusite, rhinite, laryngite en plein mois de juillet durant la canicule. Tout ceux-ci, mis à part quelques exceptions près, niaient énergiquement d’être fatigués, dans le déni total des symptômes physiques et psychologiques évident liés à la fatigue. Aucun n’associait ni leur irritabilité ni leur apathie à cette cause.

Là où j’ai vraiment senti que je devenais un vieux con, c’est quand j’ai tenté de passer quelques conseils, pour simplement dédramatiser et démystifier leur état.

« Non, non, on est pas fatigué » insistait encore l’animateur, cerné, sinusité, hyper-caféiné…

Je virais au « vieux con attitude » finalement bien plus dans leur regard que dans mes pensées ou mes propos. Quelle belle idée j’avais de leur donner des conseils, leur expliquer ou démystifier ces quelques astuces/situations « classiques » de la vie collective.
Si l’orgueil évident guidaient leurs réactions, c’était surtout une nouveauté, une méconnaissance, un ignorance de ces situations/cas classiques de vie collective : du coucher tard, au coup d’éponge évident sur la table…

Il aurait été facile pour moi de penser: « décidément les (jeunes) animateurs ne sont plus ce qu’ils sont », ou « bon, il y a un gap de génération évident », ou « on ne leur apprend plus rien en formation ».
J’ai commencé à tilter, le jour où un animateur, me voyant passer par là, m’a appelé à l’aide le soir du barbecue:
« Loïc, on a besoin de toi, tu sais faire cuire les saucisses on y arrive pas! »

Devant l’animateur peinant à retirer avec les doigts les saucisses des flammes ardentes du bucher, je découvrais un gastro de saucisses en attente de cuire, un second remplit de chippo noires, carbonisées…. 30 enfants dont l’estomac crillait famine face à une grille unique de 40cm sur 20cm pour seul point de cuisson, posée en équilibre instable au milieu du brasier.
Après avoir réuni des pierres pour encercler le foyer, sur-élever la grille minuscule, collecté deux autres plaques grillagées, une grande pince et un pic à saucisse, j’ai enseigné l’art de la grillade à la braise et non pas la carbonisation à la flamme vive de buches de noel de la taille d’un tronc d’arbre. C’est à ce moment là que j’ai prit conscience d’une première chose quand j’ai lancé naïvement un : « Voilà, là tu vas voir, ça va être plus simple! Tu n’avais jamais fait un babeuc avant? »

« Bin non »... a répondu l’anim

« Mais même pas un feu de camp? En colo, comme même ou comme anim?… ou même avec des potes pour des chamalow ou un WE pour un barbeuc? »

« bin… heu non »…

J’aurais pu tomber dans la « vieux con attitude » directe face à ce jeune animateur, dont le smartphone dépassait de la poche arrière, pour une fois qu’il n’était pas dans sa main… Mais c’est une petite peine au coeur qui m’a prit à ce moment là. J’avais vécu tant de feux de camps et de grillades sauvages, enfant, en colo, mais aussi avec les autres gamins de mon age, puis avec les potes, puis en colo comme anim… lui non. Je me suis dit à ce moment là, qu’il était passé à coté de tout ces instants « supers sympa »… des chamalows grillés qui collent aux dents, au pull.. et aux cheveux du voisin.

Ma deuxième et fondamentale prise de conscience fut quand je prit le temps de discuter avec ces jeunes anims de leur formation bafa: « avec quel organisme », « où », « en internat ou externat ». Et là, pour la première fois, j’ai découvert qu’un nombre important, pas 1/4… non, presque la moitié des anims avait fait leur formation BAFA en externat.

En externat ?

A mon époque (phrase de vieux con… attention dans l’animation on est très vite un vieux con hein…. après 2 étés tu es estampillé « expérimenté », alors je te raconte pas quand ça fait 15 ans que tu fais de l’animation, là t’es un Gros Vieux Con, non seulement les anims te vouvoient pendans 3 jours avant d’arriver à arrêter, mais en plus dès que tu dis quelque chose « c’est une phrase de vieux con »), … A mon époque donc dans le « catalogue » des sessions de formation sur la saison, pour une région, il devait y avoir 1 ou 2 session en externant… tout au plus… uniquement dans les grandes villes. A mon époque donc… les formations étaient en internat, en continue. Pour ma part, et pour nombreux dans mon cas, l’internat était la normalité… Bin oui, comment apprendre la vie collective, les veillées, les repas, si on ne passe pas ces moment là ensemble??? Si on ne les vie pas???

A mon époque, et dans mon cas, je me souviens même avoir passé:
* la base bafa, dans ma région, mais pas dans mon département
* mon perf/appro bafa, dans ma région et dans mon département
* mon base BAFD, la dans région voisine
* mon perf/appro BAFD, dans une région à perpette-les-oies

C’était « normal », puisqu’on voulait apprendre à vivre ensemble, en collectivité, pour nos futurs colos. Perso je voulais aussi voir du pays, de nouvelles régions, rencontrer des gens d’ailleurs avec qui je partageais les mêmes envies, les mêmes passion pour l’animation et les mêmes valeurs.

Rentrer tous les soirs chez mes parents à la fin de la formation?
Plutôt mourir !!!

Manger « en ville » le midi entre midi et deux, entre la fin de la matinée et la reprise l’aprem…. et puis quoi? Pourquoi pas manger un Kebab tant qu’on y est?…

C’est à ce moment là, face au grand nombre d’animateur formé sur des sessions en externat que j’ai réalisé qu’on ne peut pas avoir apprit à vivre ensemble si on ne l’a pas vécu. Que les comportements et les réflexes de la vie collectives qu’ils n’avaient pas, ils ne les avaient pas vécu eux. Ni pour certains en colo, ni pour beaucoup en formation.

Alors j’ai allumé mon PC et j’ai tapé « formation BAFA ». J’ai regardé. Et bien oui! Les formations en « externat » se sont multipliées comme des petits pains. Ha bah j’étais sur le cul à ce moment là. Je ne savais pas.

Je comprends pourquoi: le coup de la semaine de formation est moindre, puisqu’on ne compte plus l’hébergement et les repas… Certains sont en demi pension… du coup, j’imagine que le self service, où on mange sur un plateau s’est également standardisé…. (je vois de plus en plus de colo avec ce type de restauration…. je ne donnerais pas mon point de vue, je ne veux pas passer plus pour un vieux con que je ne le suis déjà)

Alors oui, je comprends finalement les (jeunes) animateurs: la formation BAFA a un coût, peu trouvent un financement pour. Moi mon argent de poche partait dans mes formations, mais c’était pour moi ma joie et tout à la fois mes vacances (ouais! on retrouve l’ambiance des colos, alors qu’on est grand!!)

Du coup j’ai parlé aux anims que je croisais autour de moi, mais aussi aux jeunes (grands) ados qui voulaient passer le BAFA:
En internat ou externat?… et bien, je pense que le nombre de formés en externat va aller croissant mes chers « amis animateurs/directeurs vieux cons »…

* Parce que ça coûte moins cher,
* Parce que pas mal d’anim ne font plus du tout de colo, mais du CLSH, et du péri-scolaire… et donc que la vie collective bin, c’est pas important dans ces types d’animation (ça n’existe pas)
* Parce que pas mal d’anim et d’ados ça les fait pas chier de rentrer le soir chez leurs « darons » ou de manger un Kebab en ville entre midi et deux… voire même non seulement ça les fait pas chier mais ils « kiffent » le truc
* Parce que prendre la formation la plus proche de chez eux, c’est une évidence, aller dans le département d’à coté c’est le bout du monde, alors je te parle pas d’un autre coin de la France: le sac à dos, le train… « pfff relou »
*Parce que peut importe l’organisme de formation en fait, tant que c’est pas loin, que ça coûte pas cher…

Donc j’ai comprit plein de truc ces derniers été, en ayant le temps de prendre du recul sur les colos, en les regardant d’un peu plus loin et en discutant avec les anims, pour tenter (en vain) de ne pas passer pour un vieux con, et pour tenter de comprendre les évolutions, leur évolution.

Le nombre de formations en internant diminue au profit des formations en externat. Donc le vécu et l’apprentissage de la vie en collectivité, du vivre ensemble, et du rôle de l’adulte envers les enfants dans cet apprentissage va évoluer aussi.

Je comprends dans un sens cette évolution et les choix des organismes de formation… je comprends un peu mieux aussi les jeunes (anims ou ados) dans leurs décisions et dans ce qu’ils sont.

Là où je suis encore un peu un vieux con, ce n’est donc plus sur « Internat » vs « Externat », quand bien même j’ai une position bien tranchée à ce sujet…. Là où je me sens un vieux con et ce sur quoi il va falloir que je discute encore un peu plus avec des gens, des anims, des jeunes, c’est sur le choix (ou l’absence de réel choix en fait) des anims quant à leur organisme de formation. Comme si tous les organismes de formation faisaient la même chose, de la même façon, pour les mêmes valeurs et dans les mêmes buts.

Mais ça du coup, ça sera pour un prochain article.

A bientôt !
(Vieux cons et jeunes cons, selon le point de vue… des autres)